Régulation des actifs numériques : USA vs Europe

Régulation des actifs numériques : USA vs Europe

Pensez aux régulateurs financiers: les américains, sans salaire depuis le shutdown du gouvernement, dans l'attente de se remettre au travail du jour au lendemain; et les Européens, avec une UE fragmentée et des marchés de capitaux désarticulés.

Maintenant, comparez les approches très différentes de la réglementation des crypto-monnaies de chaque côté de l'Atlantique.

La Securities and Exchange Commission (SEC) des États-Unis envisage la situation dans son ensemble et travaille à l’élaboration de règles sectorielles, mais elle rend également des jugements et des amendes punitives. L'année dernière, 18 actions de la SEC liées aux tokens ont été menées, contre cinq en 2017.

L’Europe semble quant à elle plus concentrée sur la manière dont elle doit envisager la situation dans son ensemble. Elle pense à la structure que devrait prendre le processus de prise de décision. Elle forme des comités. Les recommandations traversent les différents départements de l'Union et des préparatifs sont en cours pour les délibérations. L'Europe semble penser constamment à réglementer les actifs numériques, plutôt que de le faire réellement.

Par exemple, au début de ce mois, on a pu constater un nombre croissant d'appels à l'échelle européenne pour une réglementation favorable des règles cryptos, émanant cette fois de l'Autorité bancaire européenne et de l'Autorité européenne des marchés financiers (ESMA).


On pourrait comparer ces différences avec le monde du cinéma : les blockbusters américains (pan pan boom boom) contre le film indé européen au style extrêmement réfléchi.

Mais c’est plus que ça. Les différences sont en réalité inscrites dans les structures et traditions juridiques et soulignent la difficulté insondable de parvenir à un accord sur la manière dont la nouvelle classe d'actifs crypto devrait être réglementée.


Des différences aux racines profondes

Le droit européen est basé sur le code napoléonien, ou droit civil, dans lequel tout est régi par un droit préétabli ou une décision administrative. Les lois codifiées prédominent et la réglementation est souvent plus complète que nécessaire, ce qui la rend moins agile. Son objectif est cependant de produire un ensemble uniforme de règles pour couvrir toutes les éventualités.

Les États-Unis fonctionnent selon un système de common law dans lequel les juges jouent un rôle plus important dans la prise de décision et où les règles sont établies au cas par cas, souvent (mais pas toujours) sur la base de décisions antérieures.


Une autre grande différence est que l'Union européenne a des États-nations souverains auxquels elle doit répondre. Un grand nombre des décisions prises par l'UE doivent être ratifiées par les pays actuels, ce qui donne encore aux initiatives européennes de se voir tuées dans l'oeuf, en fonction des intérêts nationaux de chaque pays. Il est très difficile de faire avancer les choses au niveau régional, de haut en bas.


De plus, en Europe, le droit des valeurs mobilières reste globalement national. La poussée vers l'union des marchés des capitaux progresse lentement, bien qu'elle soit l'une des priorités du mandat actuel: sur les 13 textes législatifs fondamentaux présentés par la Commission depuis 2014, seuls trois ont été adoptés.


Et le temps presse: le mandat actuel se termine en mai et l'urgence alimentée par l'inquiétude grandissante suscitée par le Brexit et la possibilité d'une nouvelle crise financière ne semblent pas avoir accéléré le rythme des progrès.


Aux États-Unis, la relation entre les États et les agences fédérales est plus simple. Un long passé d'application de la législation par la Cour suprême en matière d'application des lois fédérales a apporté un voile d'interopérabilité.


Des vitesses différentes

Ainsi, les frustrations compréhensibles liées au manque de clarté de la part des régulateurs américains et à leur approche lente, au cas par cas, devraient être tempérées avec l’appréciation qu’au moins elles ne sont pas aussi lourdes que leurs homologues européennes. Cela, combiné à la taille des marchés des capitaux américains, signifie que tous les yeux sont tournés vers les mesures que la SEC va prendre concernant les actifs crypto.

Ce qui explique pourquoi tout le monde a les yeux rivés depuis des mois vers le bitcoin ETF proposé par VanEck.


Cela ne veut toutefois pas dire que l’Union européenne ne prend pas au sérieux les crypto-monnaies. Le rapport publié par l’ESMA la semaine dernière a révélé les résultats d’une enquête qui a duré plusieurs mois auprès des régulateurs des États membres, dans le but d'identifier des définitions et des paramètres communs en matière de tokens numériques.

Le rapport a également souligné les lacunes de la réglementation actuelle et suggéré des mesures pour les combler. L'ESMA a toutefois reconnu que nombre des solutions potentielles dépassent son mandat, ce qui implique que les mesures convenues sont encore loin.


Dans l'intervalle, il est probable que certains pays européens prennent des mesures provisoires pour autoriser l'émission d'actifs crypto sur des exchanges réglementés. Cependant, la taille réduite des marchés locaux et les règles fragmentées régissant les échanges et la conservation risquent de limiter les tokens émis en Europe.


Aux États-Unis, en revanche, 2019 risque de donner lieu à une multitude d’actions et de déclarations de la part de la SEC. Bien que cela puisse influencer d’autres organismes de réglementation des valeurs mobilières du monde entier et orienter le secteur vers un cadre plus global, des différences régionales et des considérations nationales en font probablement un voeu pieux.


Mais au final, des progrès décevants restent davantage positifs que pas de progrès. Il reste à espérer que la SEC puisse retourner travailler au plus vite.